« Un chemin dont nous ne connaissons pas l’issue »
L’Esprit est à l’œuvre dans nos discernements, dans les petits choix de tous les jours et dans les décisions qui impactent notre vie et celle des autres, mais encore faut-il le laisser agir, ou plutôt lui donner les chances d’atteindre l’intime de notre conscience, à travers tout ce qui nous encombre. En évoquant le synode à Rome, un chrétien me disait espérer que l’Esprit serait présent dans notre assemblée ; je lui ai répondu : « Présent, il le sera, sans aucun doute, mais la question est de savoir si nous l’écouterons réellement ! »
Réunis à Rome pour la première session du synode des évêques, nous nous sommes mis à l’écoute de l’Esprit Saint. Plusieurs éléments me semblent déterminants dans ce que nous avons vécu qui peuvent éclairer notre discernement aussi bien pour notre vie spirituelle que pour notre vie ecclésiale.
Tout d’abord, le synode a commencé par le rassemblement œcuménique Together avec la participation de jeunes du monde entier, notamment trois jeunes “ambassadeurs” de notre diocèse. Nous n’étions pas seuls dans notre chemin : dès le début, nous nous sommes ouverts aux autres chrétiens qui n’appartiennent pas à l’Église catholique mais sont néanmoins des fidèles disciples du Christ. Dès le début, le discernement avait une ouverture plus grande.
Ensuite, nous avons commencé par une récollection : un long temps de prière, de silence, de lecture et de méditation de la Parole de Dieu, avec un échange spirituel entre nous. Le discernement dans l’Esprit nécessite de prendre le temps de l’intimité avec Dieu. Sinon nous utilisons l’Esprit et la Parole de Dieu au lieu de nous laisser conduire par eux.
La disposition de l’assemblée en tables de douze personnes, sans les précautions de préséance, tous à égalité, nous invitait à un décentrement : dans le discernement, chaque voix a de l’importance, même les plus discrètes. La méthode choisie de la conversation dans l’Esprit Saint conduit à écouter chacun, sans réagir, pour accueillir ce que Dieu nous donne à travers la parole de l’autre. Cela exige de se libérer de nos filtres de préjugés, d’agacement, de jugements à l’emporte-pièce. Cela demande une forme de dépouillement de nos protections : il est plus facile de classer tout de suite la parole de l’autre à l’intérieur de notre jugement, sans se laisser bousculer par elle : nous n’écoutons plus l’Esprit Saint mais notre propre jugement, nos idées, nous contentant d’ajouter un peu d’exotisme de la parole de l’autre.
Un autre aspect m’a marqué : l’insistance à partir de l’expérience et non pas de nos idées. Nous avons tellement l’habitude de batailler au niveau des idées en passant à côté de la réalité. Certes, il importe également de situer la réflexion théologique ; une saine attitude conduit à écouter la réalité au cœur de la théologie et de réfléchir à notre théologie au cœur de la réalité de notre monde. Il est facile de se cacher derrière nos idées, derrières nos réponses spirituelles : suivre le Christ exige d’entrer au cœur de notre humanité, avec ses lumières et ses obscurités, là où Dieu se plaît à demeurer.
Certains, attendant avec impatience la traduction française du document voté le 28 octobre, parlaient du « document final » : or, nous avons travaillé et voté un « Rapport de synthèse », mais non pas un document final. Voilà qui ouvre un autre aspect du discernement : il prend du temps ! Souvent pressés de prendre une décision, pressés par nous-mêmes ou par les autres ou par le contexte, nous oublions que le discernement demande du temps, des étapes, un mûrissement.
Ces quelques aspects, parmi d’autres, de ce que nous avons vécu à Rome me semblent éclairants pour nos discernements : ouverts, dans un climat de prière et d’écoute de la Parole de Dieu, à l’écoute vraie et purifiante de l’autre, en ne faisant pas l’impasse sur notre humanité, notre histoire et nos sentiments, en prenant le temps, nous entrons dans un chemin dont nous ne connaissons pas l’issue, pour laisser l’Esprit Saint nous éclairer et nous inviter à un passage, une pâque vers une vie plus grande et plus pleine.
Mgr Alexandre Joly