3ème dimanche du Temps Ordinaire
Dimanche 23 janvier 2022
Cathédrale Saint-Pierre Saint-Paul de Troyes
« Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre » (Lc 4, 21).
Jésus est un familier de la synagogue, les fidèles ne sont pas surpris de le voir se lever, prendre le livre d’Isaïe, en faire la lecture, s’asseoir puis faire un commentaire. Cette fois-ci, ils sont stupéfaits. On peut imaginer le silence qui a envahi les rangs de la synagogue : qu’a-t-il voulu dire ? On s’attendait à un commentaire, mais certainement pas celui-là. Les contemporains de Jésus savent bien que l’oracle d’Isaïe ne concerne
que le Messie, celui qui a reçu l’onction, celui qui vient au nom du Seigneur pour nous sauver. Lui seul peut se permettre de dire : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction ».
Jésus ne commente pas l’Écriture de manière habituelle ; il le fait avec une autorité unique, qui va au-delà des limites de l’interprétation car il relie l’Écriture Sainte à sa personne et à sa mission. L’auditoire ne peut qu’être effrayé devant l’attitude de Jésus : comment peut-il se prétendre le point de référence essentiel de cette parole ? Comment peut-il se présenter comme la clef d’interprétation de ces versets du prophète Isaïe et de toute l’Écriture ? La frayeur se traduira rapidement en hostilité, il sera chassé de la ville.
Alors qu’il est chez lui, dans la douceur de son village, au commencement de son ministère, voilà que se profile déjà le mystère de la croix, le don de sa vie, l’offrande totale qui donne sens à toute son existence : sa vie est faite pour être donnée, totalement, sans retour, sans partage. Dans l’ordinaire de sa vie à Nazareth, Jésus laisse apparaître l’extraordinaire de sa personne : il est le Messie. Il vient partager la condition des hommes et des femmes de son temps. A Nazareth, où il a grandi, il déroule son programme : « Porter la bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur » (Lc 4, 18-19).
Jésus a été envoyé pour cela, pour cette bonne nouvelle, pour apporter à l’homme, à tout homme, à toute femme, la vraie liberté, la paix profonde, la joie véritable. Tel est l’aujourd’hui de Dieu, l’aujourd’hui que Jésus a manifesté par sa présence il y a deux mille ans, l’aujourd’hui de Dieu qui résonne maintenant dans la cathédrale Saint-Pierre Saint-Paul de Troyes.
Aujourd’hui, en communion avec l’Église Universelle, nous avons à cœur de prier pour l’unité des chrétiens : au-delà de nos différences, au-delà de la tradition de nos Églises, nous implorons l’Esprit-Saint pour qu’il suscite en nous le désir de l’unité, dans nos communautés chrétiennes, entre tous les chrétiens, conscients que le témoignage de l’unité nous permet de témoigner de Dieu.
Aujourd’hui, en communion avec l’Église Universelle, nous célébrons le dimanche consacré à la Parole de Dieu. En instituant le dimanche de la Parole de Dieu, le Pape François nous a invité à « vivre ce dimanche comme un dimanche solennel », « consacré à la célébration, à la réflexion et à la proclamation de la Parole de Dieu » (PAPE FRANÇOIS, Motu proprio Aperuit illis). Ici, dans notre cathédrale, la Parole de Dieu
a été proclamée comme il y a 25 siècles à la demande de Néhémie par le prêtre Esdras, comme il y a deux mille ans dans la synagogue de Nazareth. Nous sommes dans l’aujourd’hui de Dieu.
Aujourd’hui, dans l’Église mère du diocèse de Troyes, vous est donné un nouveau pasteur. Au-delà de ma pauvre personne, la bonne nouvelle est l’attention que Dieu porte à l’Église qui est dans l’Aube. Le Seigneur aime son Église qui est à Troyes et la conduit en unique Pasteur. C’est lui, l’unique, le seul, le véritable Pasteur qui veille sur son Église. En m’envoyant auprès de vous, comme votre nouvel évêque, et à travers mon ministère épiscopal, c’est le Seigneur lui-même qui veille sur son peuple, son peuple dont il a fait son corps, dont nous sommes chacun pour sa part et tous ensemble les membres. La bonne nouvelle n’est pas que ce soit Alexandre qui arrive comme évêque de Troyes, la bonne nouvelle c’est que Dieu manifeste sa bienveillance pour le diocèse de Troyes en lui envoyant un pasteur : Dieu guide son Église en la comblant de ses bienfaits afin qu’elle soit fidèle à la mission qui lui est confiée, faire résonner la joie de l’Évangile, aujourd’hui, au milieu des auboises et des aubois.
Ainsi, frères et sœurs, « aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre » (Lc 4, 21).
Dieu manifeste sa bienveillance pour son peuple en lui donnant sa Parole vivante. Le livre de Néhémie dont nous avons entendu un extrait dans la première lecture fait écho à un moment difficile pour le Peuple de Dieu. Il a connu l’exil pendant un demi-siècle puis, enfin de retour à Jérusalem, a pu reconstruire le Temple de Dieu. Mais les séquelles du passé sont toujours là, les cicatrices de l’exil, les cicatrices de la dureté du chemin du retour, les cicatrices des tensions pour la reconstruction du temple de Jérusalem.
La période de l’exil a été terrible, douloureuse, avec un avenir sombre et des difficultés au quotidien ; mais elle a été également féconde car la foi d’Israël a survécu à cette épreuve. Le peuple est resté fidèle au Seigneur, bien plus, sa ferveur a grandi, grâce au travail pastoral des prêtres et des prophètes. Privés du temple et du rassemblement cultuel, les croyants ont pris l’habitude de lire et de méditer les Écritures. Ce temps d’épreuve du peuple d’Israël éclaire les difficultés que nous avons rencontrées pendant les différents confinements et les limites imposées en raison de la crise sanitaire, et peut nous conforter dans notre chemin de foi au milieu des épreuves que connaître toujours notre société, ou plus particulièrement les situations difficiles que peuvent connaître certains aubois avec le travail de l’agriculture, de la vigne et de l’élevage, la difficulté à transmettre la terre et ce que l’on a soi-même reçu.
Revenons au temps de Néhémie : les croyants sont divisés, les tensions s’accumulent. Comment rétablir l’unité ? Comment renforcer la ferveur ? Comment ouvrir les cœurs à l’espérance ? Ils se rassemblent autour de la Parole de Dieu. Pour redonner le moral, pour renforcer le cœur des croyants, pour ouvrir les fidèles à l’espérance véritable, Néhémie et le prêtre Esdras offrent au peuple une extraordinaire liturgie de la Parole. Dès qu’il ouvre le livre de la Parole de Dieu, tout le peuple se lève spontanément, comme nous l’avons fait au moment de la proclamation de l’évangile. Le peuple l’a bien compris : la Parole de Dieu, c’est l’œuvre de Dieu, les merveilles que Dieu accomplit, et le peuple apporte sa réponse en accueillant avec joie ce qui vient de Dieu. Le prêtre Esdras commence par bénir Dieu. Au-delà de tout ce qu’il faut accomplir, le plus important est d’écouter la Parole de Dieu, de la faire résonner dans les cœurs.
Frères et sœurs, chers amis, ce qui nous donne la force et l’audace, c’est la Parole de Dieu. Elle est la source d’une indicible joie. En écoutant la Parole de Dieu proclamée, traduite et expliquée, « ils pleuraient tous » (Ne 8, 9). Esdras les invite à la joie : après le temps de l’épreuve, malgré leurs fautes, au-delà des difficultés présentes : « Ce jour est consacré au Seigneur votre Dieu ! Ne pleurez pas ! Ne vous affligez pas : la joie du Seigneur est votre rempart ! » (Ne 8, 9-10). Le peuple, porteur des promesses de Dieu, ne peut pas rester dans la désespérance ni dans la morosité : la joie du Seigneur est notre force, notre rempart. Seule la Parole de Dieu peut entretenir la joie dans les coeurs de tous. Le peuple obéit à la Parole qui lui est adressée : il cesse de mener le deuil, de pleurer, il fait de grandes réjouissances. Il a compris la Parole du Seigneur.
Ainsi, frères et sœurs, « aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre » (Lc 4, 21).
L’aujourd’hui de l’Église c’est également la convocation du Pape François de toute l’Église universelle à participer au synode qui sera célébré en 2023. Le synode, ce mot unique et intraduisible, signifie le fait de marcher ensemble, de prendre le temps d’écouter Dieu et de s’écouter les uns les autres, d’apprendre à discerner spirituellement pour découvrir ce que Dieu attend de son Église et de chacun d’entre nous aujourd’hui. Nous vivons un temps béni, unique, extraordinaire, un kaïros, le temps opportun, important, décisif. Le pape n’y va pas par quatre chemins : la conversion synodale, « le chemin de la synodalité est ce que Dieu veut pour l’Église du troisième millénaire » (PAPE FRANÇOIS, Discours pour le 50ème anniversaire de l’institution du synode des évêques, 17 octobre 2015).
En accueillant les mots de l’apôtre Paul aux chrétiens de Corinthe, qui résonnent comme une grâce aujourd’hui, dans la cathédrale qui porte son nom avec celui de l’apôtre Pierre, au commencement de mon ministère épiscopal dans le diocèse de Troyes, c’est une grâce qui nous est faite, une invitation à vivre en véritable corps du Christ. Dans quelques instants, sur le magnifique autel de notre cathédrale, le pain et le vin apportés deviendront corps et sang réels du Christ. Mais n’oublions pas que nous sommes le corps réel du Christ, nous, ses membres. Unis à la tête qui est le Christ, « nous sommes corps du Christ, et chacun pour notre part, nous sommes membres de ce corps » (1Co 12, 27).
Paul utilise une fable bien connue à l’époque, celle des membres et de l’estomac. Après Ésope, Tite-Live, et tant d’autres auteurs anciens, Jean de La Fontaine lui-même reprend cette comparaison pour inviter au respect de chacun, dans la prise de conscience que chacun apporte sa pierre à l’édifice de l’ensemble. Cette fable peut résonner aujourd’hui d’une manière particulière alors que nous entrons dans une phase électorale importante. Les mains, les bras, les jambes, tous les membres finissent par se rebeller contre l’estomac qu’ils accusent d’oisiveté ; cessant d’œuvrer, « bientôt les pauvres gens tombèrent en langueur, il ne se forma plus de nouveau sang au cœur, chaque membre en souffrit, les forces se perdirent ». Finalement, « Par ce moyen les mutins virent que celui qu’ils croyaient oisif et paresseux, à l’intérêt commun contribuait plus qu’eux » (JEAN DE LA FONTAINE, Fables, Les membres et l’estomac).
Toutefois, l’apôtre Paul, tout en soulignant ainsi l’importance de chacun, la nécessité de chaque membre, combien chacun est indispensable, va plus loin que le juste ordonnancement de chacun dans la vie de la cité. Il ne regarde pas d’abord la réalité de l’Église, il regarde le Christ. « Le corps ne fait qu’un, il a pourtant plusieurs membres ; il en est ainsi pour le Christ » (1Co 12, 12). Nous sommes le corps du Christ ! Quelle grande nouvelle, extraordinaire ! ce n’est pas qu’une image, c’est la réalité, la réalité la plus vraie. Seul un regard de foi peut discerner dans la réalité ecclésiale que nous sommes non pas seulement une organisation humaine, faillible et bien souvent limitée, mais le corps même du Christ. Dans ce corps, notre réelle dignité n’est pas notre fonction, notre mission, notre ministère, notre réelle dignité est le baptême. La
plus haute dignité, la seule qui compte, c’est d’être un membre, quel qu’il soit, de l’unique Corps du Christ.
Le défi de la conversion synodale rappelée par le Pape François, c’est de donner à chacun sa juste place, de permettre à chacun de percevoir son importance et la place qu’il doit prendre pour la mission. La communion que nous vivons dans l’eucharistie se traduit dans la vie de l’Église ; tous, vivant la communion, cherchant à la traduire dans une réelle fraternité, nous sommes tournés vers la mission, l’annonce du Christ. Chacun, quel qu’il soit, quelle que soit sa place, visible ou discrète, le plus souvent humble et cachée, chacun participe à la vie de l’Église en raison de son baptême. « Tout le monde évidemment n’est pas apôtre, tout le monde n’est pas prophète, ni chargé d’enseigner ; tout le monde n’a pas à faire des miracles, à guérir, à dire des paroles mystérieuses, ou à les interpréter » (1Co 12, 29-30), et pourtant tout le monde « est corps du Christ, et chacun pour sa part, membres de ce corps » (1Co 12, 27). L’Église qui est à Troyes est heureuse d’entendre cette bonne nouvelle que nous sommes le corps du Christ, et chacun d’entre nous membres de ce corps, pour le traduire dans le concret de la vie d’Église.
Ainsi, frères et sœurs, « aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre » (Lc 4, 21). Alors, dans la confiance, laissons le Seigneur, dans sa bienveillance, diriger notre action « afin qu’au nom de son Fils bien-aimé, nous portions des fruits en abondance ». Amen.
+ Alexandre Joly
évêque de Troyes