Quarante journées sympathiques

 

Dès l’Évangile du mercredi des Cendres, nous est donnée la charte de notre Carême (Matthieu 6, 1-8 ; 16-18). Prier, partager, jeûner. Avec cela, nous avons l’impression de savoir comment faire pour vivre un bon Carême. Mais ce qui importe le plus, ce n’est pas comment nous allons faire pour habiter ces trois attitudes fondamentales, mais pourquoi nous allons le faire. L’Évangile du mercredi des Cendres y insiste. Si nous sommes invités à centrer notre Carême sur le jeûne, le partage et la prière, c’est pour mieux aimer les autres et c’est pour mieux nous approcher de Dieu à travers le Christ dans la fièvre de l’Esprit Saint (des poussées de fièvre que nous ne devons pas craindre). En somme, une quarantaine sympathique qui nous prépare à vivre la joie pascale, celle du Christ et de son Évangile.

Le Carême est un temps donné que nous ne devons pas avoir peur de prendre sans craindre de le perdre ; un temps donné pour mieux se connaître, pour mieux connaître les autres, pour mieux connaître notre Dieu qui nous aime, pour donner du goût à tout notre temps, à notre histoire personnelle et communautaire.

 

Mieux être

Autrement dit le Carême est une invitation à mieux être, à entrer en nous-même pour y trouver le Dieu qui nous libère, qui nous transforme, qui nous convertit. Le jeûne, le partage, la prière, ne font pas du Carême la saison de l’ascèse, mais plutôt celle du décrassage, de l’épurement, de l’embellissement, de ce qui fait de notre cœur le lieu d’une présence d’amour et de notre vie l’horizon infini où les jours ne cessent d’appeler et d’inventer un amour sans limites.

On peut dire, au fond, que nous avons quarante jours pour nous redécouvrir, pour redécouvrir que notre être biologique, psychologique, émotionnel, est comme l’enveloppe dans laquelle nous sommes appelés à vivre un engendrement spirituel, qui fera de nous un cœur capable d’aimer et de devenir fils et frère. C’est une belle occasion de retrouver notre vrai visage, celui qui est configuré par la présence du Dieu de notre baptême, sans aucune ombre narcissique et sans masque qui cache notre vérité intérieure.

 

Dialogue de salut

Quand vous lirez ces lignes, il ne restera plus quarante jours de Carême à vivre. Nous savons bien que ce chiffre est symbolique du temps favorable qui nous est offert pour nous secouer de notre torpeur ou de notre mal-être. Comme l’écrit le pape François dans son message de Carême 2020 :« Malgré la présence, parfois dramatique, du mal dans nos vies ainsi que dans la vie de l’Église et du monde, cet espace offert pour un changement de cap exprime la volonté tenace de Dieu de ne pas interrompre le dialogue de salut avec nous. » Que nous soyons aujourd’hui dans la crainte d’un mal dont on ne semble pas avoir la maîtrise, que nous soyons dans les lendemains déprimés de nos illusions perdues, ce temps de Carême nous est offert comme une randonnée où on traverse des paysages de prière, de jeûne et de partage, porteurs de la joie de l’Esprit, prière où on laisse monter en soi une Présence, jeûne non pas pour se priver, mais pour chercher à boire plutôt cette eau pure qui fait vivre, partage non pas pour manifester de la grandeur d’âme à l’égard du frère, mais pour lui restituer ce qui lui appartient. Belle montée vers Pâques.

+ Marc Stenger

Évêque de Troyes